L'art de la culpabilisation inutile

Merci de nous offrir ce (rare) espace de témoignage. J'ai avorté en 2007, par voie médicamenteuse. J'avais 22 ans, j'étais étudiante. Je ne crois pas avoir vécu une situation particulièrement complexe mais je l'ai vécu comme un traumatisme à cause de plusieurs éléments qui auraient pu être évités. D'abord, la semaine de réflexion était extrêmement culpabilisante et inutile : je ne pouvais pas devenir mère à ce moment là, c'était évident. Ensuite, lorsqu'on m'a fait prendre la première pilule abortive à l’hôpital, on m'a bien expliqué que son rôle était de "tuer" l'embryon, de "l'affamer" avant de pouvoir l'évacuer deux jours après. De telles images sont fausses et inutiles, ajoutent un zeste de culpabilité, au cas où. Rien concernant les effets secondaires, les douleurs, les nausées et "rentrez chez vous". Et juste avant de partir, on m'a dit : "parfois, le fœtus sort avant la deuxième prise. Si c'est le cas, il faut le récupérer dans ce flacon et nous le ramener pour analyse". Quelques heures après et d'intenses contractions, l'embryon est effectivement sorti.

Je me vois encore récupérer cet amas de cellule, le mettre dans le flacon transparent, m’effondrer, le rapporter le lendemain à l'infirmière qui l'a laissé sous mon nez le temps de la consultation. Je n'ai jamais su quel était le but, si des analyses avaient effectivement été faites. Encore quelque chose d'inutile. Et puis "tout" n'est pas parti, alors il y a eu des semaines de règles douloureuses, d'analyses sanguines, d'échographies, d'observations, de réflexions... Et tout s'est arrêté. Aucun suivi, personne à qui parler. J'ai longtemps pensé que c'était normal et longtemps nié le traumatisme vécu. J'y pense très souvent et me demande comment faire évoluer cette question car j'ai le sentiment que depuis 1974, si peu de choses ont bougé, ni dans les pratiques, ni dans les mentalités et qu'il faudrait en plus s'estimer heureuses d'y avoir le droit. NON, ce n'est pas SUFFISANT.